Instaurée en août 2015, avec effet au 1er janvier de la même année, la « taxe caïman » a induit une réelle révolution en droit fiscal belge, en prévoyant notamment le principe de l’imposition, dans le chef du contribuable belge, de revenus perçus par une « construction juridique » dont ce dernier est le « fondateur » (art. 5/1, CIR92), et ce, même si les revenus ainsi imposés par « transparence » n’ont pas encore été perçus par le contribuable, et alors qu’ils ne le seront peut-être jamais…

L’on peut en effet imaginer la situation d’un contribuable belge ayant un jour constitué un « trust » de droit anglo-saxon auquel il aurait affecté par le passé un patrimoine destiné à terme à être dévolu à ses enfants, résidents d’un Etat régi par ce même droit anglo-saxon… A compter de l’affectation originelle, le constituant perdra en général tout droit sur le capital affecté au trust, et les revenus dudit patrimoine. Par l’effet de la « taxe caïman », et sauf quelques rares et strictes exceptions, le constituant sera imposé sur les revenus du patrimoine d’affectation, comme s’il les avait perçus directement… Situation qui peut paraître injuste…

La notion de « construction juridique » recouvre 3 catégories distinctes (art. 2, §1er, 13°, CIR92). De manière synthétique, l’on envisage sous cette notion les « patrimoines d’affectation » tels le trust, et les entités étrangères dotées de la personnalité juridiques tout en étant insuffisamment imposées selon l’appréciation qu’en donnent les autorités belges, et certains « contrats » tels des contrats d’assurance-vie mis en place afin de faire « écran » entre le contribuable et l’une des 2 catégories précitées de « construction juridique ».

Il peut être fait exception à la qualification au titre de « construction juridique » pour les « entités personnifiées », en démontrant que celle-ci assume un impôt sur son revenu jugé « suffisant », mais pas pour les « patrimoines d’affectation ».   Ainsi, si l’on prend l’exemple de certains trusts, tel le trust canadien, ceux-ci seront considérés dans l’Etat de leur situation comme un sujet de droit fiscal, et leurs revenus seront soumis à une imposition parfois importante (approx. 15%), sans pouvoir faire exception, de ce fait, à la « taxe caïman ». Dans cette hypothèse, le contribuable belge « fondateur » d’un tel trust subira, en plus de l’imposition dans l’Etat de constitution du trust, une imposition complémentaire sur les revenus du trust qui auraient été imposable dans son chef s’il les avait perçus directement (la plupart du temps, des revenus mobiliers tels des dividendes ou des intérêts d’origine étrangère).

C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’une des premières décisions de jurisprudence rendues en matière d’application de la « taxe caïman », prononcée par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles en date du 11 mars 2020, et publiée mi-novembre 2020. Il ne s’agit en réalité pas d’une prise de position émanant du tribunal, dans la mesure où celui-ci avait à statuer sur des conclusions d’accord déposées par les parties. Mais le cas reste intéressant en ce qu’il fournit un indice de l’attitude que pourrait adopter l’administration fiscale, face à des entités qui sont elles-mêmes des sujets de droit fiscal dans l’Etat de leur établissement, lorsque cet Etat la Belgique sont liés par une convention préventive de la double imposition.

Dans le cas d’espèce commenté, l’administration fiscale avait imposé le « fondateur » d’un trust canadien, irrévocable et discrétionnaire, sur les revenus perçus par le trust, par l’effet de la transparence fiscale. Et ce, sans possibilité pour ce fondateur de faire exception à la taxation, en démontrant que le trust était lui-même imposé, au Canada, sur les revenus ainsi perçus.

Après discussion, l’administration fiscale a admis la primauté de la convention préventive de la double imposition conclue entre la Belgique et le Canada sur le droit interne belge (qui organise la « taxe caïman »). Cette convention considérant que le trust canadien est un sujet de droit fiscal (art. 4 ; CPDI), son application au cas de l’espèce attribue au seul Canada le pouvoir d’imposition relatifs aux revenus perçus par la « personne juridique » qu’il constitue (sauf l’hypothèse de revenus de source belge), et exclut de ce fait toute application de la transparence fiscale issue du régime de la « taxe caïman ».

Il ne s’agit en réalité que de l’acceptation, par l’administration fiscale, des principes de la « hiérarchie des normes » en matière fiscale, qui accorde la primauté sur le droit interne du droit conventionnel international, en l’espèce, la convention bilatérale conclue entre la Belgique et le Canada. Cette primauté était déjà rappelée lors des discussions parlementaires ayant présidé à l’adoption, en 2015, de la législation « taxe caïman ».

L’on sait déjà que cette jurisprudence n’aura qu’une vocation très limitée à s’appliquer aux situations mettant en présence un contribuable belge et un trust, dans la mesure où peu de conventions bilatérales leur reconnaissent la qualité de « sujets de droit ». Toutefois, cette attitude raisonnable de l’administration fiscale pourrait s’avérer bien utile à tous les contribuables belges qui sont considérés comme étant « fondateurs » d’entités dotées de la personnalités juridiques établies dans un Etat lié conventionnellement avec la Belgique, susceptibles à ce titre d’être visés par « taxe caïman ».

L’on sait que cette catégorie de « constructions juridiques » a été considérablement élargie, à l’effet de 2 arrêtés royaux des 21 novembre 2018 (pour les entités de l’Espace Economique Européen) et 6 mai 2019 (pour les entités hors de l’Espace Economique Européen). Sont ainsi potentiellement visées des entités également soumises à l’imposition dans l’Etat de leur siège ou principal établissement, mais dont le « fondateur » ne parviendrait pas à établir qu’elles assument un impôt « suffisant » pour échapper à la « taxe caïman » (soit 1%, soit 15%, de la « base imposable belge » fictive attribuée à ces entités pour les besoins de leur qualification au regard de la « taxe caïman »).  L’on citera, au titre d’exemple le plus frappant de ces entités nouvellement incluses dans le champ de la « taxe caïman », la « soparfi » de droit luxembourgeois.

Dans nombreux des nouveaux cas visés, l’entité concernée sera également considérée par l’Etat de son siège comme un « sujet de droit », et visé à ce titre par une convention préventive de la double imposition conclue entre cet Etat et la Belgique, sous réserve d’exception expressément prévues (telle celle visant, toujours pour le Grand-duché de Luxembourg, la « SPF », exclue du bénéfice de la convention bilatérale belgo-luxembourgeoise).

La jurisprudence précitée devrait permettre à ces contribuables de soutenir la primauté de la convention bilatérale sur le droit interne, et de postuler la non application de la transparence fiscale prévue par le droit interne belge. Cette jurisprudence pourrait être invoquée en amont de toute déclaration fiscale à l’impôt des personnes physiques. Elle pourrait également être invoquée à l’appui d’une réclamation fiscale, le cas échéant, si les délais utiles ne sont pas révolus. Chaque situation devra être analysée au cas par cas, sur base de la législation applicable sur le plan conventionnel.

Attention toutefois à ne pas crier victoire avec trop de hâte. En effet, la jurisprudence commentée, qui n’est que la logique application de la législation fiscale belge par l’administration fiscale, ne vise que le principe de la taxation par transparence. Il ne s’agit que de l’un des 2 « volets » prévus par la législation « taxe caïman ». Il est utile en effet de se rappeler que la « taxe caïman » organise également une « taxe de distribution » qui s’applique à toutes les distributions de toute « construction juridique », qu’il s’agisse d’un trust ou d’une entité personnifiée par exemple. Celle-ci qualifie au titre de « dividende » telle distribution (taux distinct applicable : 30%). La qualité de « sujet de droit » de la « construction juridique » concernée n’apporte aucune possibilité d’exception à ce type d’imposition, dont l’application interviendra non seulement en cas de distribution ou de liquidation de la construction, mais également dans une série d’hypothèses qui y sont assimilées (transferts d’actions ou d’actifs, scission, apports d’actifs, etc). Le contribuable prudent sera dès lors avisé de se faire conseiller avant toute initiative de restructuration de sa situation….

MELANIE DAUBE